L’urgence à suspendre dans le cadre d’un référé suspension, entre balance des intérêts et appréciation au cas par cas.

a view of a rural area with a large factory in the distance

Article par Ugo Ivanova

30 avril 2025

Commentaire du jugement du Tribunal administratif de Bastia, 18 avril 2025, n° 2500506

Sous la balance d’or, le marteau s’est tu,
Car bâtir valait plus que l’attente voulue.
L’urgence n’est pas toujours celle que l’on clame,
Quand le bien commun souffle plus fort que l’alarme

Il n’est pas courant de commenter un jugement rendu par un Tribunal administratif compte-tenu de la portée intrinsèquement limitée d’une telle décision – de première instance – mais il convient de faire une entorse à cette coutume compte-tenu de l’intérêt du jugement rendu par le juge des référés du Tribunal administratif de Bastia le 18 avril 2025🔎.


Était alors en cause une demande de suspension, sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, d’un permis de construire portant sur la création d’un centre de tri et de valorisation des déchets ménagers non dangereux.


Ce projet était en effet de nature, selon l’avocat des Associations requérantes, « à entraîner de graves atteintes à l’environnement et à l’agriculture » compte-tenu de sa localisation au sein d’un espace stratégique agricole délimité par le PADDUC (Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse), non artificialisé et où étaient répertoriées de nombreuses espèces et habitats protégés.


S’en suivait donc une demande de suspension de ce permis compte-tenu, précisément, du fait qu’il aurait pour effet d’artificialiser plus de 70% de l’espace agricole protégé.


Reprenant mots pour mots le jugement rendu, il était donc acquis qu’en l’absence d’une suspension de cet arrêté – la demande d’annulation d’un permis de construire par une requête pour excès de pouvoir n’emportant aucun effet automatiquement suspensif de cet arrêté – « la construction d’un bâtiment autorisée par un permis de construire présente un caractère difficilement réversible ».


Et pourtant, malgré la nature préservée et préservable du site retenu pour la création du site de traitement des déchets, le juge des référés du Tribunal administratif de Bastia a rejeté la requête en suspension en considérant – et là réside l’intérêt de ce jugement – non pas qu’il y aurait une absence d’urgence à suspendre l’arrêté litigieux mais qu’il y a, à l’inverse, une urgence à mettre en œuvre un tel arrêté👮‍♂️.


Etait alors fait application de l’article L. 600-3 du Code de l’urbanisme, lequel prévoit, d’une part, une présomption d’urgence à suspendre les autorisations d’urbanisme dès lors que la demande de suspension est introduite avant l’expiration du délai de cristallisation des moyens – deux mois après le premier mémoire en défense – et d’autre part la possibilité pour le pétitionnaire d’échapper à cette présomption en faisant état de « circonstances particulières ».


Et ce sont précisément ces circonstances particulières sur lesquelles s’est fondé le juge des référés pour écarter la demande de suspension – et donc pour renverser la présomption d’urgence normalement accordée à ce genre de dossier.


Le juge a, à cet égard, mis en balance, d’une part, l’atteinte que pourrait porter l’exécution de ce projet à l’intérêt public et, d’autre part, l’intérêt public qui s’attache à l’exécution de ce même projet : « Dès lors, l’exécution du permis litigieux ne porte pas atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation des requérants ou aux intérêts qu’ils entendent défendre, au regard de l’intérêt public s’attachant à la création de ce centre. Il s’ensuit que les éléments apportés en défense sont de nature à renverser la présomption d’urgence prévue par l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme ».


« Il n’est pas établi que la réalisation du centre de Monte entraînerait des nuisances et aurait un coût excédant ceux résultant de l’absence de création d’une telle installation ».


Le bénéficiaire du permis mettait en effet en avant l’intérêt public attaché à la réalisation du centre d’incinération et de traitement des déchets compte-tenu du risque d’arrêt de la collecte des ordures ménagères à la fin de chaque été « conduisant le préfet à réquisitionner les deux seuls centres d’enfouissement des déchets ménagers non dangereux en Corse ».


Si ce jugement est donc éminemment casuistique, il n’en demeure pas moins utile pour se rappeler que la présomption d’urgence, trop souvent considérée comme irréfragable, peut en réalité être renversée si la construction en litige présente un intérêt public👍.

Le cabinet IB avocats est à votre disposition pour vous conseiller et vous assister dans toutes vos procédures devant les juridictions administratives, quelles soient en annulation ou en suspension !

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