Analyse croisée de la loi HUWART du 26 novembre 2025 et de la décision n° 2025-896 du 20 novembre 2025 du Conseil Constitutionnel
Les sages ont parlé
La simplification oubliée
La régression planifiée
Dans son article publié le 17 avril 2025 « Proposition de loi du 1er avril 2025, dite « loi HUWART », une loi de « simplification du droit de l’urbanisme » … en apparence seulement ? », le Cabinet IB Avocats appelait le législateur à la plus grande des prudences afin « d’éviter que la vitesse n’emporte tout avec elle ».
La prudence n’était manifestement pas de mise, la vitesse a effectivement tout emporté avec elle, et il suffisait, pour le constater, de prendre lecture de la loi telle que validée définitivement en date du 15 octobre 2025, laquelle reprenait, mot pour mot, les modifications avancées par la proposition de loi du 1er avril 2025.
Faisaient ainsi partie des principales modifications – dont l’objectif, rappelons-le, était de faciliter la construction de nouveaux logements afin de « refaire la ville sur ville » – :
- La possibilité pour les collectivités de recourir à une participation du public par voie électronique en lieu et place d’une enquête publique dans le cadre de l’évolution de leurs documents d’urbanisme ;
- La suppression des différentes procédures existantes d’évolution des documents d’urbanisme (Plans locaux d’urbanisme et Schémas de cohérence territoriaux) pour n’en laisser perdurer que deux : La révision et la modification ;
- La création d’un document d’urbanisme unique lorsque le périmètre d’un SCOT et d’un PLU sont identiques ;
- La possibilité de déroger aux dispositions relatives aux destinations organisées par le PLU pour autoriser le changement de destination d’un bâtiment à destination agricole ;
- La cristallisation du droit applicable aux permis de construire modificatifs permettant à ce que la délivrance de ces permis se fasse à l’aune du PLU opposable à la demande de permis de construire primitif ;
- L’augmentation des sanctions contre les infractions d’urbanisme, le Maire pouvant prononcer, en sus d’une mise en demeure de régulariser les travaux illégaux, une amende administrative d’un montant maximal de 30 000 euros ;
- L’impossibilité pour une Commune, dans le cadre d’une procédure ouverte contre une décision emportant refus de délivrer une autorisation d’urbanisme, d’invoquer de nouveaux moyens de refus en dehors du délai de deux mois à compter de l’enregistrement du recours devant le Tribunal administratif.
- L’obligation, pour pouvoir soulever par le mécanisme de l’exception d’illégalité un moyen tenant à un vice de forme ou de procédure d’un document d’urbanisme, d’invoquer de tels moyens dans le délai de recours de l’acte réglementaire, à savoir dans un délai de deux mois (contre six mois auparavant) ;
- La modification de l’article L. 600-1-1 du Code de l’urbanisme par l’instauration d’un nouveau critère de recevabilité pour pouvoir contester un document d’urbanisme, à savoir avoir prit part à la participation du public mise en œuvre ;
- L’instauration d’un nouveau délai d’un mois – contre deux mois auparavant – pour pouvoir engager un recours gracieux contre une autorisation d’urbanisme et la fin de l’effet suspensif de ce recours gracieux sur le délai de recours contentieux (marquant ainsi la disparition du recours gracieux).
Ainsi, si la loi – dans sa version adoptée le 15 octobre 2025 – annonçait timidement quelques avancées bienvenues, gages de sécurité juridique – cristallisation du droit pour les permis de construire modificatifs, augmentation des pouvoirs du maire pour lutter contre les infractions d’urbanisme, encadrement plus important du mécanisme de substitution de motifs – la grande majorité des évolutions votées marquait une franche rupture dans le délicat équilibre entre sécurité des projets d’aménagement et le droit pour les administrés de s’impliquer dans la vie de ces projets, tantôt pour les faire modifier tantôt pour les faire annuler.
La promesse de la vitesse devenait alors le cauchemar des citoyens, relégués à de simples observateurs impuissants.
L’espoir demeurait pourtant intact, la loi ayant été déférée au Conseil Constitutionnel, ce même Conseil qui, dans ses deux décisions emblématiques de 2025 (n° 2025-876 DC et n° 2025-891 DC), a empêché que ne soient entérinées les nombreuses régressions environnementales portées par les lois d’orientation agricole et Duplomb – lesquelles promettaient notamment la réintroduction de l’acétamipride, un néonicotinoïde bien connue -.
Et pourtant, « l’espérance nous trompe souvent » (Lettre à Lucilius, Sénèque).
En effet, si à la suite de la décision du Conseil Constitutionnel du 20 novembre 2025 de nombreux commentateurs ont mis en avant « l’importante censure » ainsi opérée – 15 articles sur 34 ayant été censurés – une lecture attentive de cette décision suffit à se convaincre que le Conseil s’est contenté d’une censure cosmétique, reportant à des lois ultérieures les régressions programmées et maintenant les principales évolutions pourtant largement contestées.
Car en effet, sur les 15 articles écartés, un seul article a été jugé contraire à la Constitution, à savoir la nouvelle mouture de l’article L. 600-1-1 du Code de l’urbanisme, lequel prévoyait un nouveau critère de recevabilité pour être autorisé à contester un document d’urbanisme – cette disposition ayant été jugée comme portant une atteinte excessive au droit à un recours juridictionnel effectif -.
Les 14 autres articles, s’ils ont bien été écartés, n’ont pour autant pas été considérés comme contraire à la Constitution mais simplement abandonnés du fait de leurs statuts de « cavaliers législatifs » – c’est-à-dire de mesures introduites par un amendement n’ayant aucun lien avec le texte initialement projeté -.
Suivant la décision – cosmétique donc – du Conseil Constitutionnel, ont été définitivement adoptés le 27 novembre 2025 (liste non exhaustive) :
- Le nouvel article L. 600-12-2 du Code de l’urbanisme, lequel supprime l’effet prorogeant du recours gracieux et instaure un nouveau délai d’un mois pour l’introduire (ce délai débutant toujours au jour de l’affichage sur le terrain de l’autorisation litigieuse) – Ce nouvel article, en l’absence de dispositions contraires, est entré en vigueur le 28 novembre 2025 et concerne donc toutes les nouvelles procédures à cette date ;
- La nouvelle version de l’article L. 600-2 du Code de l’urbanisme qui encadre dans un délai de deux mois suite à l’enregistrement du recours la faculté, pour une collectivité, de procéder à une substitution de motifs de sa décision emportant refus de délivrer une autorisation d’urbanisme – Cette modification est applicable aux procédures enregistrées aux greffe sde la juridiction après la publication de la loi ;
- La nouvelle version de l’article L. 481-1 du Code de l’urbanisme permettant au maire d’une commune, constatant l’existence d’une infraction d’urbanisme, d’ordonner le paiement d’une amende d’un montant maximal de 30 000 euros en sus de l’invitation à régulariser les travaux litigieux. Cette mise en demeure de régulariser peut-être par ailleurs augmentée d’une astreinte d’un montant maximal de 1000 euros par jours de retard avec un montant total ne pouvant excéder 100 000 euros ;
- L’abrogation de l’article L. 600-1 du Code de l’urbanisme. Les illégalités pour vice de forme ou de procédure d’un document d’urbanisme invoquées par voie d’exception devant le juge administratif ne pouvant être, dorénavant, que soulevées dans un délai de deux mois suivant l’adoption de ce même document ;
- La création de l’article L. 431-6 du Code de l’urbanisme qui instaure un mécanisme de cristallisation des règles d’urbanisme applicables à un permis de construire pour une durée de trois ans afin de permettre aux permis de construire modificatifs ultérieurs d’être instruits en application des mêmes règles à l’exclusion – conformément au régime juridique des certificats d’urbanisme – des règles ayant pour objet de préserver la sécurité ou la salubrité publique ;
- La création d’un nouveau document d’urbanisme unique lorsque le périmètre d’un plan local d’urbanisme (PLU) et d’un d’un Schéma de cohérence territorial (SCOT) sont identique.
🛑La modification la plus conséquente, à notre sens, qui caractérise d’ailleurs une régression démocratique majeure, est le « nivellement vers le bas » des procédures de participation du public dans le cadre de l’évolution des documents d’urbanisme (PLU et SCOT).
En effet, là ou la norme était l’enquête publique et l’exception la participation du public par voie électronique ou la mise à disposition du public, la nouvelle loi du 26 novembre 2025 renverse complètement cette logique en permettant à l’autorité en charge de l’évolution de ces documents de décider de recourir, en lieu et place à la traditionnelle enquête publique, à une simple participation du public par voie électronique.
Pire, profitant de la suppression des anciennes procédures d’évolution de ces documents (révision/révision simplifiée/modification de droit commun/modification simplifiée) pour n’en conserver que deux (révision et modification), le législateur a considérablement étendu le champ d’application de la mise à disposition du public qui est devenue, depuis le 28 novembre 2025, la procédure de participation du public de droit commun pour l’ensemble des procédures de modifications (sauf pour les procédures de modification soumises à évaluation environnementale, ou l’enquête publique demeure, ainsi que la faculté de lui privilégier une participation du public par voie électronique).
Un futur article dédié à ces nouvelles procédures d’évolution des documents d’urbanisme sera rapidement réalisé.
En synthèse donc, s’il est incontestable que la principale mesure de cette nouvelle loi demeure la suppression du recours gracieux – et l’engorgement des juridictions administratives qui en résultera – il nous apparaît, quant à nous, que l’évolution proposée pour les transformations des documents d’urbanisme préfigure le changement de paradigme à venir, à savoir réduire à peau de chagrin le rôle des commissaires enquêteurs pour leurs privilégier un dialogue direct avec les administrés (dialogue indéniablement utile aux collectivités, lesquelles n’auront plus pas à répondre à un tiers indépendant et impartial).
Ce paradigme ne mettra pas longtemps à irriguer l’ensemble des autres procédures.
Si ces modifications permettent d’accélérer les diverses procédures en s’abstenant de respecter les délais auxquels sont soumis les enquêtes publiques, ce sont bien les administrés qui se voient privés d’une garantie de voir leurs observations et leurs critiques être prises en compte et non simplement « mises à la disposition de la collectivité ».




